mercredi 16 juin 2010

Editorial du président

Chers collègues, chers adhérents, chers amis,

D’abord, simplement, bienvenue, أهلا وسهلا. Je suis heureux de vous accueillir et de vous témoigner l’enthousiasme et la conviction qui m’animent à l'issue de mon élection à la présidence de l’Association Française des Arabisants. Je voudrais également  remercier chaleureusement le nouveau comité pour la confiance qu’il m’accorde en m’ayant fait l’honneur de m’élire à ce poste.

Au moment de commencer ce mandat, je voudrais aussi, en mon nom propre, et au nom de mon comité, remercier mon prédécesseur, Benoît Deslandes.  Il n’a pas ménagé ses efforts pour dynamiser l’association et lui donner une visibilité qui fait d’elle une structure reconnue et estimée au sein des arabisants de France. A lui et au précédent comité va toute ma reconnaissance. Notre nouveau comité aura à cœur de poursuivre l’œuvre entreprise par l’Association Française Des Arabisants depuis maintenant bientôt quarante ans pour défendre l’enseignement de l’arabe en France et promouvoir la langue et la culture arabes au sein des institutions de la République.

Je voudrais dire d’entrée de jeu que je conçois cette association comme l’espace de tous les arabisants, qu'ils soient enseignants, chercheurs, étudiants. L'AFDA est également l'espace de tous ceux qui entretiennent, de près ou de loin, avec le Monde Arabe, un lien de proximité par leur activité professionnelle.

Vous le savez, la situation de l’enseignement de l’arabe en France n’est pas bonne.  Pour la première fois dans l’histoire de notre pays, un Président de la République a manifesté le désir de se pencher personnellement sur le dossier de l’enseignement de la langue et de la culture arabes en plaçant des Assises sous son haut Patronage. De ces Assises, nous attendions beaucoup. Nous  attendions beaucoup de cette déclaration de M. Sarkozy dans son discours prononcé à Constantine le 5 Décembre 2007 : "Je souhaite que davantage de Français prennent en partage la langue arabe par laquelle s’expriment tant de valeurs de civilisation et de valeurs spirituelles".  Aujourd'hui, notre déception est aussi forte que le fut notre espérance à l'annonce de ces intentions : aucune des mesures annoncées à l’issue de ces Assises par le Ministre de l’Education Nationale de l’époque, Xavier Darcos, n’a aujourd’hui été suivie d’effet. Comme le serpent de mer qui refait régulièrement surface, le diktat de la logique comptable réapparaît une fois de plus et semble cette fois-ci bien déterminé à prendre dangereusement le dessus, si l'on en croit les menaces de suspension du capes d'arabe qui planent actuellement. Ceux qui sont à l'origine d'un tel projet ont-ils réfléchi aux répercussions qu'il pourrait avoir, non seulement sur l'enseignement de la langue et de la civilisation arabes en France, mais aussi sur nos engagements laïcs, sociaux, et diplomatiques ? Alors que la demande d'enseignement de la discipline dans notre pays est en évolution constante, va-t-on abandonner l'enseignement de l'arabe à des structures associatives, le plus souvent confessionnelles, dont ni la vocation, ni la compétence ne rejoignent les exigences de neutralité, d'érudition et d'objectivité critique de l'école de la République ?

Alors que les responsables politiques, et au plus haut niveau, manifestent régulièrement leurs préoccupations face aux carences de l’institution pour garantir et soutenir un enseignement de la langue arabe assuré par notre système éducatif, la contradiction est flagrante entre la réalité du terrain et le décorum de ces grand-messes officielles.

Faut-il pour autant baisser les bras et se réfugier dans l’ amertume du constat d’impuissance ? Certainement pas. Nous devons précisément faire tout le contraire. Je vois pour ma part deux missions urgentes à remplir :

- La première : rester vigilants sur le dossier de l’enseignement de l’arabe en France, continuer à alerter les autorités compétentes tant sur les fermetures de postes que sur les zones géographiques qui constituent un fort potentiel d’ouvertures pour une implantation cohérente et raisonnée de la langue arabe dans les établissements scolaires. Pour cela, chers collègues, nous avons besoin de vous, nous avons besoin de vos informations sur la situation de la langue arabe dans vos académies, nous avons besoin de vos propositions, de vos idées, de vos suggestions.

- La seconde : communiquer. Communiquer sur notre engagement d’arabisants, car c’en est un. A nous d’expliquer, chaque fois que nous en avons l’occasion, que le Monde Arabe, c’est une culture qui s’étend sur plus de quinze siècles, que la culture arabe a traversé la Méditerranée, que sans elle, les sciences ne seraient pas ce qu’elles sont , à nous de rappeler que la littérature, la pensée, les formes d’expression artistiques du Monde arabe ont créé en Occident un bouillonnement intellectuel qui a marqué l’histoire des idées de façon indélébile.

- Face à ces réalités historiques, géopolitiques, sociologiques, qui engagent ensemble la France et le Monde Arabe, la mission de l’Etat n’est pas remplie. Cela n’est pas normal. Nous devons nous battre. Nous ne serons jamais trop pour cela.

Chers Amis, le comité se réunira très prochainement et vous fera part de ses projets pour les mois à venir, notamment pour ce qui concerne les rencontres que nous organiserons.    

Permettez-moi, en conclusion, de vous souhaiter une excellente fin d’année, permettez-moi aussi de solliciter auprès de vous une adhésion massive à l’Association Française des Arabisants. Nous avons besoin de votre collaboration active et constructive. Sans elle, nous ne pourrons nous faire entendre.

Pierre-Louis Reymond

Président de l’AFDA

Fermeture du CAPES d'arabe en 2011

" Il n’y a pas de contradiction entre préparer l’avenir et investir dans la langue arabe" (N. Sarkozy, 9 octobre 2008)



C'est avec surprise que l'association française des arabisants constate que le ministère de l'éducation nationale a décidé de ne pas publier de date d'ouverture pour la session 2011 du CAPES d'arabe, ce qui revient à sa fermeture (voir circulaire en pièce jointe).

Pourtant, le Président de la République soulignait au sujet de l’enseignement de l’arabe dans notre pays  qu’ « un pays qui investit dans son histoire et dans sa culture, c’est en vérité un pays qui investit dans l’avenir. Il n’y a pas de contradiction entre préparer l’avenir et investir dans la langue arabe ».  C’était le 9 Octobre 2008, lors des premières assises de l’enseignement de la langue arabe en France, dans un discours lu en son nom par Madame le Préfet Malika Benlarbi.

L’AFDA s’élève contre cette décision qui compromet la cohérence de la réforme concernant la mastérisation de la formation des enseignants du secondaire et porte atteinte:
- à la pressante nécessité de sortir la langue des lieux de repli communautaire et d'assurer un enseignement conformes exigences d’érudition, de neutralité et d’objectivité informées de notre tradition universaliste,
- à notre tradition d’ouverture culturelle diversifiée,
- à notre rayonnement diplomatique et culturel sur le plan international,
- à nos intérêts au sein d'un monde multipolaire où le monde arabe joue un rôle notable.


L’AFDA demande donc la reconsidération urgente d’un tel projet qui va totalement au rebours des bonnes intentions que l’on croyait pourtant résulter d’une conviction émanant du plus haut niveau de l’Etat.

mardi 8 juin 2010

Où vont nos engagements géopolitiques, laïcs et sociaux ?

Le Monde a publié le 8 juin dernier une tribune de Pierre-Louis Reymond, qui s'exprimait en son nom propre, et non en tant que président de l'AFDA.



Parce que les engagements géopolitiques, laïcs et sociaux, ensemble, se trouvent aujourd'hui malmenés par un raisonnement à court terme, budgétaire, gestionnaire et mécanique, le temps est venu de nous mettre en face de nos engagements…

Les menaces de suspension du Capes d'arabe qui planent actuellement au sein de l'éducation nationale soulèvent un problème de taille : va-t-on abandonner, avec toutes les implications idéologiques que cela comporte, l'enseignement de la langue et de la culture arabes à des structures associatives, le plus souvent confessionnelles, et se prendre ainsi au propre piège de l'enfermement communautaire que nous ne cessons pourtant de dénoncer ?

Il faut croire que le gouvernement n'en est pas à une contradiction près. A l'heure où, jadis ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy s'était saisi avec courage du dossier épineux de l'institutionnalisation d'un islam de France, à l'heure où, élu président, il décidait la réintégration de la Syrie dans le concert des partenaires avec lesquels il faudrait désormais compter dans les négociations pour la résolution des conflits au Proche-Orient, à l'heure où, lucide, il décidait de la création des premières assises de l'enseignement de la langue et de la culture arabes en France, à l'heure où des signes forts étaient émis en direction d'une région du monde dont l'histoire ne cesse de nous montrer qu'elle est pour nous un partenaire historique, géopolitique et économique incontournable…

LE DIKTAT D'UNE LOGIQUE COMPTABLE

A l'heure où ces marques de vigilance significatives étaient portées à des facteurs qui engagent le destin et la position de la France dans le monde, à l'heure où l'on commençait à ouvrir sérieusement le dossier de l'exception culturelle d'une laïcité bien comprise, mon inquiétude est vive. Elle est vive parce qu'en ramenant la langue et la culture arabes en France au statut de discipline rare, on bascule à nouveau dans le contresens que l'on semblait avoir cessé de commettre : l'étroitesse de nos relations avec le Maghreb et le Moyen-Orient, à de nombreuses reprises manifestées sur la scène diplomatique par le président, la volonté louable de décommunautariser notre espace social, la nomination d'un commissaire à la diversité et à l'égalité des chances, le souhait manifesté officiellement par un président de la République, pour la première fois dans l'histoire de notre pays, que "davantage de jeunes Français reçoivent en partage la langue arabe", tout cela va-t-il être freiné par le diktat d'une logique comptable à l'issue de laquelle, si elle est appliquée, l'impact des économies réalisées par la coupe budgétaire envisagée sera infinitésimal au regard des risques que nous courons à voir une discipline, une culture et une civilisation, qui sont au cœur de notre actualité régentées, contrôlées et orientées par ceux qui ne manqueront pas de s'autoproclamer spécialistes d'un domaine que ni leurs qualifications, ni leur compétence ne leur permettent de maîtriser.

Ces esprits qui nous gouvernent, et auxquels on fera crédit qu'ils ne sont pas dénués d'intelligence, devraient se rappeler de toute urgence ce que disait la philosophe Simone Weil de l'argent : "Il l'emporte sans peine sur tous les autres mobiles, parce qu'il demande un effort d'attention tellement moins grand. Rien n'est si clair et si simple qu'un chiffre". Et les dégâts qu'il peut engendrer aussi.



Pierre-Louis Reymond, agrégé de langue et littérature arabes.


Source: lemonde.fr

Une langue toujours plus étrangère à l'école de la république

« Il n’y a pas de contradiction entre préparer l’avenir et investir dans la langue arabe », affirmait Nicolas Sarkozy le 9 octobre 2008. Pendant quelques mois, les professeurs d'arabe et les partisans de l'enseignement de cette langue dans un cadre laïc et républicain auront eu l'espoir d'avoir été entendus. Le 9 octobre 2008, le président de la République réunissait sous son haut-patronage les premières assises de l'enseignement de la langue et de la culture arabes. Le 9 septembre 2009, un remarquable article de Brigitte Perucca dans Le Monde, intitulé La langue arabe chassée des classes, attirait l'attention sur tous les facteurs de minoration qui affectent cette langue qui reste « plus étrangère que les autres ». Pendant l'automne et l'hiver 2009-2010, pas moins de huit questions étaient adressées par des parlementaires des deux assemblées aux ministres en charge du dossier.

On se prenait à rêver que les ancrés chez certains personnels administratifs, ou de direction, chez une partie des enseignants, des parents et même des élèves, allaient enfin être contrebalancés par une volonté politique consciente des enjeux inhérents à la langue arabe: enjeux commerciaux et stratégiques bien entendu, mais aussi enjeux sociaux. Sait-on en effet que les cours d'arabe organisés par les États du Maghreb rassemblent environ 40 000 élèves, que ceux d'un secteur associatif souvent confessionnel en rassemblent au moins 60 000, tandis que l'offre de l'école de la République oscille autour de 7 000 inscrits?

Le rêve a été de courte durée. Pas une seule des mesures annoncées par le ministre de l'éducation nationale à l'issue des Assises de 2008 n'a été mise en œuvre. Bien plus, la fermeture du CAPES, concours essentiel dans le recrutement d'enseignants correctement formés, a été récemment officialisée pour l'année 2011. A croire que « l'investissement dans la langue arabe » pourra se passer d'enseignants...
Nul doute que l'on tirera prétexte la situation de sous-emploi des professeurs d'arabe dans certaines académies — un peu comme l'on pourrait invoquer la faiblesse d'un malade pour cesser de lui administrer son traitement. Car si l'on peine à ouvrir des classes d'arabe alors que les écoles coraniques sont pleines, n'est-ce pas précisément du fait du délabrement de l'enseignement public de l'arabe, victime à la fois de préjugés tenaces et d'une politique comptable désespérément aveugle devant l’importance de l’enjeu? En effet, il faut savoir que les chefs d'établissement reçoivent chaque année une enveloppe d'heures toujours plus réduite, la [dotation horaire globale->43], qu'ils doivent répartir entre chacune des matières enseignées dans leur collège ou leur lycée. Il est bien évident qu'à moins d'une ferme volonté des personnels de direction, ces précieuses heures vont plus volontiers à l'anglais et l'espagnol, où les classes sont toujours pleines, plutôt qu'aux langues "rares", qui partent de plus bas et qui intimident plus souvent les élèves et leurs parents.

On se paie bien souvent de poignantes déclarations d'amour à la diversité des langues, la laïcité et la place de la France dans le monde mais, un jour très prochain, le très fragile équilibre qui permet à notre pays de proposer encore un enseignement fondé sur des valeurs universalistes et scientifiques mourra des promesses sans lendemain de nos dirigeants politiques et des ergotages de certains de nos chefs d'administration.

Et ce jour-là, qu'on en soit assuré, les tenants de l’endoctrinement idéologique et du mépris avéré des idéaux de la République ne manqueront pas de prendre la place que celle-ci leur aura de fait abandonnée.