mardi 8 juin 2010

Une langue toujours plus étrangère à l'école de la république

« Il n’y a pas de contradiction entre préparer l’avenir et investir dans la langue arabe », affirmait Nicolas Sarkozy le 9 octobre 2008. Pendant quelques mois, les professeurs d'arabe et les partisans de l'enseignement de cette langue dans un cadre laïc et républicain auront eu l'espoir d'avoir été entendus. Le 9 octobre 2008, le président de la République réunissait sous son haut-patronage les premières assises de l'enseignement de la langue et de la culture arabes. Le 9 septembre 2009, un remarquable article de Brigitte Perucca dans Le Monde, intitulé La langue arabe chassée des classes, attirait l'attention sur tous les facteurs de minoration qui affectent cette langue qui reste « plus étrangère que les autres ». Pendant l'automne et l'hiver 2009-2010, pas moins de huit questions étaient adressées par des parlementaires des deux assemblées aux ministres en charge du dossier.

On se prenait à rêver que les ancrés chez certains personnels administratifs, ou de direction, chez une partie des enseignants, des parents et même des élèves, allaient enfin être contrebalancés par une volonté politique consciente des enjeux inhérents à la langue arabe: enjeux commerciaux et stratégiques bien entendu, mais aussi enjeux sociaux. Sait-on en effet que les cours d'arabe organisés par les États du Maghreb rassemblent environ 40 000 élèves, que ceux d'un secteur associatif souvent confessionnel en rassemblent au moins 60 000, tandis que l'offre de l'école de la République oscille autour de 7 000 inscrits?

Le rêve a été de courte durée. Pas une seule des mesures annoncées par le ministre de l'éducation nationale à l'issue des Assises de 2008 n'a été mise en œuvre. Bien plus, la fermeture du CAPES, concours essentiel dans le recrutement d'enseignants correctement formés, a été récemment officialisée pour l'année 2011. A croire que « l'investissement dans la langue arabe » pourra se passer d'enseignants...
Nul doute que l'on tirera prétexte la situation de sous-emploi des professeurs d'arabe dans certaines académies — un peu comme l'on pourrait invoquer la faiblesse d'un malade pour cesser de lui administrer son traitement. Car si l'on peine à ouvrir des classes d'arabe alors que les écoles coraniques sont pleines, n'est-ce pas précisément du fait du délabrement de l'enseignement public de l'arabe, victime à la fois de préjugés tenaces et d'une politique comptable désespérément aveugle devant l’importance de l’enjeu? En effet, il faut savoir que les chefs d'établissement reçoivent chaque année une enveloppe d'heures toujours plus réduite, la [dotation horaire globale->43], qu'ils doivent répartir entre chacune des matières enseignées dans leur collège ou leur lycée. Il est bien évident qu'à moins d'une ferme volonté des personnels de direction, ces précieuses heures vont plus volontiers à l'anglais et l'espagnol, où les classes sont toujours pleines, plutôt qu'aux langues "rares", qui partent de plus bas et qui intimident plus souvent les élèves et leurs parents.

On se paie bien souvent de poignantes déclarations d'amour à la diversité des langues, la laïcité et la place de la France dans le monde mais, un jour très prochain, le très fragile équilibre qui permet à notre pays de proposer encore un enseignement fondé sur des valeurs universalistes et scientifiques mourra des promesses sans lendemain de nos dirigeants politiques et des ergotages de certains de nos chefs d'administration.

Et ce jour-là, qu'on en soit assuré, les tenants de l’endoctrinement idéologique et du mépris avéré des idéaux de la République ne manqueront pas de prendre la place que celle-ci leur aura de fait abandonnée.